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Le patio du Museo Mitre avec sa statue centrale Il a fait une grande toilette en 2022 et cela se voit ! Photo Museo Mitre |
Le gouvernement de Mileí
continue ses manières anti-démocratiques et même
anticonstitutionnelles.
Ce soir, à 21h, le président
ouvrira la session ordinaire du Congrès, ce qui constitue la énième
rupture des usages institutionnels : traditionnellement, le chef
de l’État ouvre la session le 1er
mars à midi, avec retransmission en direct à la télévision
publique et mise à disposition sur une multitude de sites Internet
sans parler de la presse du lendemain qui commente le discours,
souvent reproduit in
extenso. Qui plus est,
pour faire « états-unien » comme lors de son
investiture, Mileí va aussi utiliser un pupitre, ce qui est une
autre rupture symbolique avec les usages. Bien entendu, ce n’est
pas là le plus grave.
Le fait de vider de ses agents
l’agence pour les handicapés l’est bien davantage. Ces
licenciements massifs mettent en danger le soutien matériel aux
personnes en situation de handicap. De la même manière, la
reconduction sans modification des budgets des universités
nationales les mettent elles aussi en danger : avec l’inflation
galopante, la somme attribuée l’année dernière permettra juste
aux universités de fonctionner jusqu’en mai alors que l’année
de fonctionnement s’achève en décembre, hémisphère sud oblige !
Avant-hier, il s’est encore
passé autre chose : au cours d’une réunion Zoom, le
ministère du Capital Humain, ce bric et broc gouvernemental, a fort
cavalièrement annoncé à huit directeurs de musée, et parmi les
plus prestigieux, qu’ils étaient révoqués et remplacés
immédiatement. Les remplaçants devaient prendre leurs fonction
aujourd’hui. Le tout formalisé avec une simple lettre d’une
sous-directrice du patrimoine. Or plusieurs de ces musées sont
dirigés par des conservateurs, ou plutôt des conservatrices (le
détail a son importance), qui avaient été nommées par
l’équivalent du conseil des ministres à la suite d’appels à
candidature ouverts, dont l’instruction a pour but de garantir
leurs compétences professionnelles. Ces révocations sont donc
illégales, elles doivent en effet passer par une procédure
juridique similaire à celle de la nomination, sous la signature d’un
responsable de même niveau.
Les musées concernés sont la
maison natale de Sarmiento à San Juan, le palais du général
Urquiza dans la province de Entre-Ríos et dans la capitale fédérale,
le musée Mitre (où vécut l’homme de lettres devenu à la fois le
fondateur de l’histoire en Argentine et un président de la
République) et le Museo Nacional de
Arte Decorativo. Or il se
trouve que, comme par hasard, les remplaçants de ces conservatrices
sont des hommes (tiens donc !). Il se trouve aussi, ô surprise,
qu’ils n’ont pas de formation muséologique (pour des musées,
c’est ballot !). Et pour cause, ce sont des historiens, de
plus ou moins bon niveau par ailleurs. C’est que la direction du
patrimoine estime désormais que les musées historiques (ce que n’est
pas le musée d’art
décoratif) ne doivent plus être dirigés par des conservateurs mais
par des historiens. C’est encore une de leurs idées faussement
disruptives : un musée n’est pas un livre. Conserver une
collection ce n’est pas consulter des archives, il faut des
compétences particulières (et encore faudrait-il que tous les
historiens argentins travaillent sur les archives : il s’en
faut, et de loin).
Ce scandale touche l’une des
mes amies personnelles, Gabriela Mirande, conservatrice du Museo
Mitre, que j’ai connue grâce à mes travaux sur San Martín
et Belgrano (le musée conserve en effet l’immense collection de
documents historiques rassemblés tout au long de sa vie par
Bartolome Mitre qui vécut dans cette belle maison coloniale au cœur
de la City portègne, l’une des très rares à exister encore à
Buenos Aires). Je ne suis donc pas trop mal placée pour savoir à
quel point ces révocations priveraient ces musées de conservatrices
de talent !
L’homme nommé pour remplacer
Gabriela n’est autre qu’un représentant syndical du
musée lui-même contre
lequel une de ses
collègues avait porté
plainte pour mauvais
traitement, une plainte
que Gabriela avait remontée comme
il se devait à son autorité de tutelle, le défunt
ministère de la Culture, dont les fonctionnaires ont été écartés
dès l’arrivée au pouvoir de Mileí. Or ce syndicaliste est aussi
un bon copain d’une des personnes en poste aujourd’hui. Comme
par hasard !
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Cinq colonnes et une grande photo à la page 48 de Clarín ce matin Cliquez sur l'image pour une haute résolution |
Toujours est-il que la procédure
a déclenché l’intérêt de Clarín
et de La Nación
hier et je sais de bonne source que les journalistes ont consulté
les conservatrices concernées
pour faire leurs articles. Certes
ces articles n’ont pas
les honneurs de la une mais ils
figurent bel et bien sur les sites et dans les éditions papier. En
revanche, ni hier ni aujourd’hui, on ne trouve rien dans les pages
de Página/12
(sans doute parce que ces musées concernent des personnalités que
Página/12
vomit de toutes ses forces parce que le journal les classe à droite,
dans le libéralisme anglophile honni. Un
réflexe aussi stupide qu’anachronique).
Le remue-ménage provoqué hier
par ces révocations et soutenue par la presse a obtenu des
résultats : il semble que les conservatrices aient pu retrouver
leurs fonctions ce matin. Dans ce cas, elles vont rester en place
plusieurs mois encore, le temps que le gouvernement procède dans les
formes, ce qui prendra nécessairement du temps !
Que Gabriela et ses consœurs
trouvent ici l’expression de ma solidarité.
Si le nouveau directeur est la
personne que je connais, ce qui s’annonce par ailleurs du côté
d’un autre musée, la
Manzana de las Luces, ne me dit rien qui vaille non plus.
Heureusement que Mileí a fait
livrer deux hélicoptères à l’Ukraine et propose d’organiser
cette année un sommet latino-américain autour du plan de paix en
dix points de Zelensky (mais il
faudra le faire sans Lula
et sans
AMLO, tous deux profondément poutiniens). C’est peut-être la
seule chose à sauver chez ce type qui se rêve en Trump austral...
pro-ukrainien. Une incohérence de plus !
© Denise Anne Clavilier
Pour aller plus loin :